Voyager avec goût
Frue, burrida, civraxiu, fregula, malloreddusu, casizolu, pani frattau, filindeu, tzilicca... Aucune préparation ad hoc pour ravir les palais, des notes simples et recherchées, des saveurs délicates et robustes associant savamment les produits terre-mer, des parfums d’assaisonnements spéciaux, des huiles extra vierges aux herbes sauvages. La gastronomie sarde est caractérisée par des gestes antiques et des rituels qui exaltent toute la maîtrise de la cuisine traditionnelle. Une gastronomie qui laisse les jeunes chefs s’exprimer et filtrer l’âme de leur terre à travers des plats ancrés dans les mémoires et dans l’histoire, une âme qui ne cesse de changer d’un lieu à l’autre. La Sardaigne est une terre de mélange où rien ne ressemble. Chaque village a ses propres traditions, sa propre culture, sa propre langue. La célèbre douceur « pas si douce » n’échappe pas à la règle. Pour la déguster à Nuoro, vous devrez demander une sevada, tandis qu’à Cagliari il vous faudra demander une seada. Dans d’autres parties de l’île, vous la trouverez également sous les noms de sebada, seatta ou encore sabada. Vous aurez à chaque fois l’impression de redécouvrir les nuances de ce dessert. Selon la ville, le fromage utilisé sera différent : pecorino ou lait de vache, cuit ou cru. Sans oublier le miel ajouté en fin de cuisson, délicat au Sud, plus âpre dans d’autres territoires.
Funtana Raminosa
Une grande page d’histoire : ici les peuples nuragiques extrayaient le composant essentiel du bronze, qui était fondu pour modeler de petites statues, des outils, des bijoux et des armes. Funtana Raminosa, qui compte parmi les gisements de cuivre les plus riches en Europe, est une des huit zones qui composent le parc géo-minier de la Sardaigne, inclus parmi les Géoparcs de l’Unesco, c’est un musée à ciel ouvert et en souterrain, pouvant être visité sur réservation, avec des machines opérationnelles à l'avant-garde à l’époque et actuellement en excellent état de conservation. Le ‘puits de cuivre’ s’étend sur une surface d’environ 150 kilomètres carrés et se trouve à dix kilomètres de Gadoni, un village de montagne immergé dans la Barbagia di Belvì, dont il représente l’histoire, l’économie et l’identité.
Protagoniste dès la préhistoire de la métallurgie de la Méditerranée, après les peuples nuragiques, le site fut exploité par les Phéniciens et les Carthaginois, puis par les Romains : c’est de leur époque que datent des ustensiles et un lingot que l’on a retrouvés ; on a découvert également les restes d’un mineur remontant à l’âge impérial. C'est aux héritages anciens que font référence deux des actuels 150 ‘tunnels’, les galeries Fenicia et Romana. La zone fut probablement fréquentée par les Sarrasins, au VIIIe siècle.
Les galeries romaines furent découvertes par les explorateurs de la fin du XIXe siècle, tandis que la ‘véritable’ activité industrielle date du début du XXe siècle. Au cours de quasiment tout le siècle les protagonistes de l’‘âge du bronze’ moderne ont été les entreprises espagnoles, belges, françaises, italiennes et même américaines. En 1936, la mine passa à la Société Anonyme Funtana Raminosa, qui favorisa la naissance d’un village minier avec une école, un dispensaire, un magasin, la chapelle dédiée à Sainte Barbara. Dans les années Cinquante 300 ouvriers travaillaient dans l’établissement, jusqu’aux années Soixante, quand la crise minière commença, avec la fermeture de nombreuses installations. On a tout essayé pour sauver l’activité, une installation de traitement du minerai de mille tonnes par jour fut même réalisée. Entrée en service en 1982, elle fonctionna à peine huit mois, puis ce fut le coup de grâce : Funtana Raminosa ferma en 1983. Aujourd’hui les anciens mineurs sont des guides à la découverte des installations, depuis 2020 elles sont ouvertes au public : armé de casque, vous écouterez leurs témoignages et observerez les chantiers d'extraction avec des installations de traitement du minerai, une partie des 150 galeries, des fouilles à ciel ouvert, la laverie conservée dans l’état dans lequel elle a été laissée le dernier jour de travail, des fragments d’histoire minière qui se succèdent entre les galeries, comme si le temps s’était arrêté. Le long des routes vers l’entrée de la mine, vous verrez le village, avec des logements mitoyens et des services, des bureaux à la cantine, de l’église à l’école, de l’infirmerie au magasin, jusqu’au petit édifice de la direction qui domine les installations sur une petite colline. Tout autour, un paysage féérique, sculpté au cours du temps, qui entrelace une nature superbe et des architectures industrielles.
Janas, durant la nuit d’Halloween
Elle a probablement des ascendances préhistoriques, il est certain qu’on la célèbre depuis la nuit des temps et qu’elle ressemble aux fêtes de la tradition anglo-saxonne. C’est la nuit de fin octobre quand les royaumes de la lumière et des ténèbres s’unissent et permettent aux âmes des défunts, une fois les portes du Purgatoire ouvertes, de retourner dans les lieux auxquels ils étaient attachés et d’errer parmi les vivants. Les janas racontées dans les légendes populaires insulaires et à travers la tradition orale se distinguent parmi les âmes suspendues. Ce sont de petits esprits en équilibre entre ciel et terre, les fées ou les sorcières, selon les lieux où ils sont invoqués, ont une voix douce et une beauté enchanteresse. Les tombes creusées dans la roche, symbole d’un facies culturel diffusé dans toute la Sardaigne entre les IVe et IIIe millénaires av. J.-C. habitent les domus de Janas.
Grazia et Maria, les révolutionnaires
Elles combattent les préjudices et mélangent les canons de la littérature moderne et de l’art contemporain, ce sont des âmes sœurs, taciturnes, avec une grande pensée et tant de rêves. Minuscules et chétives, elles font penser aux mythiques janas et libèrent comme celles-ci des énergies puissantes et féériques, en donnant la parole aux femmes de la Sardaigne la plus profonde et à la poésie de leurs lieux de naissance, Barbagia et Ogliastra. C’est ici que se rencontrent les œuvres les plus grandioses de Maria Lai, dans les campagnes d’Ulassai, le long des parcours de montagne vers ce miracle de la nature qu’est la grotte de su Marmuri et dans le bourg, à côté de celles des artistes internationaux qui ont souhaité en célébrer le génie créatif en marquant ces lieux de leur art. Maria Lai rendra le même hommage à Grazia Deledda en installant à Nuoro sa dernière œuvre, tout près de la chiesa della Solitudine (église de la solitude) où repose l’unique femme italienne prix Nobel de littérature. Andando via est un parcours dans les silences pleins de vie des femmes de Deledda, entre les lieux habités par les mythes et les légendes millénaires, un monde poétique qui a nourri la sensibilité artistique des deux.
San Francesco di Lula
Le Montalbo, dépouillé et impérieux, s’élève sur le fond, immédiatement derrière une colline sauvage. Un cadre austère et impressionnant accueille le lieu symbole de la spiritualité, où les fidèles de toute la Sardaigne se rendent en pèlerinage lors d’une double fête aux racines légendaires. C’est le sanctuaire de Saint-François, à un peu moins de trois kilomètres de Lula : c’est ici que deux fois par an, le premier mai et le 4 octobre, se perpètre un acte de dévotion qui compte parmi les plus caractéristiques et sentis de l’Île et que Grazia Deledda a décrit dans le roman ‘Elias Portolu’.
L’origine de la célébration remonte à un fait divers, l’accusation injuste d’homicide à l’encontre d’un brigand du bourg de Lula qui prit le maquis pour échapper à la condamnation et fut obligé de se cacher dans une grotte sur les collines environnantes. Une fois son innocence finalement prouvée, le brigand construisit la petite église en signe de reconnaissance. Toutefois l’édifice actuel est un remaniement de 1795 d’un édifice préexistant qui remonte probablement au XVIe siècle. Une statue en bois de Saint-François du XVIIe siècle de l’école napolitaine est conservée dans la salle.
À partir du moment de la construction, le sanctuaire ne fut pas uniquement un lieu de culte et une destination de pèlerinage de la part des habitants de Lula, par conséquent, pour accueillir les pèlerins et les participants aux neuvaines de toute la région de Nuoro et du reste de l’Île, on construisit, en grande partie dans l’ère moderne, les cumbessias, des maisonnettes en pierre caractéristiques tout autour du sanctuaire, destinées au logement et à la restauration des fidèles.
L’atmosphère mystérieuse liée au brigand légendaire, obligé de se déplacer sous couvert de l’obscurité, résonne dans la procession qui se répète deux fois par an. La marche démarre au cœur de la nuit de l’église de la Solitude de Nuoro, à plus de trente kilomètres environ vers le sanctuaire avec l’arrivée le matin suivant. Le pèlerinage du premier mai coïncide avec le début de la neuvaine qui se conclut le 10. Les protagonistes des deux célébrations, en mai et au début octobre, sont les traditions culinaires de la zone : vous pourrez savourer les plats typiques offerts aux fidèles. À commencer par su filindeu, des pâtes artisanales très particulières, cuites dans le bouillon de mouton et assaisonnées au fromage. Puis su zurrette, de toutes les ‘Barbagie’, un boudin salé de mouton ou d’agneau. Parmi les rites séculaires destinés au saint, sa bertula (la besace) se distingue, c’est un vœu pour lequel un échange est demandé. Dans une poche de la besace on couche un enfant malade et, dans l’autre, on dépose des offres collectées avec une quête de maison en maison. Et aussi sa pesada : sur une balance on offre de la viande d’agneau ou de veau– l’équivalent en poids d’un enfant malade.
Une fois la fête conclue, le moment de quitter le sanctuaire arrive : la statue de Saint-François retourne vers Nuoro, accompagnée par les fidèles à pied ou à cheval. C’est à s’Arbore, dans les campagnes de Marreri, qu’a lieu la rencontre avec les pèlerins provenant du chef-lieu, à l’occasion d’un buffet en plein air, suivi dans la soirée par la prise en charge de la statue, pour la dernière étape jusqu’au chef-lieu où le cortège parcourt trois fois le trajet autour de l’église du Rosaire pour s’arrêter ensuite devant la maison du nouveau prieur qui conservera la bannière jusqu’au mois de mai suivant.
Une mer de blanc
La Sardaigne sous la neige exalte l’atmosphère magique poétiquement racontée par l’écrivaine de Nuoro Grazia Deledda. Les villages des Barbagie conservent leur charme d’authentiques bourgs de montagne d’autrefois, il n’y a pas de stations de ski très fréquentées et les quelques lumières artificielles font filtrer des manteaux d’étoiles lumineux, ce sont les cieux célébrés dans les pages des écrivains, les poésies des bergers et les chants traditionnels poignants. Ce sont des villages entourés d’environnements naturels superbes, dont un grand nombre est peint avec d’extraordinaires murales et, dans les environs, il y a toujours un site archéologique à visiter. Ce sont des lieux à vivre parmi la population locale, chaleureuse et accueillante, en participant à la vie de la communauté, en fréquentant les boutiques artisanales de pain et de gâteaux, en goûtant des plats simples et savoureux et en sirotant du cannonau. Pas mal, entre une randonnée en raquettes et l’autre.
Les douces saveurs des fêtes
Depuis toujours un symbole de fêtes et de célébrations, les pains et les gâteaux typiques qui se préparent en Sardaigne pour les fêtes de Noël sont des joyaux riches en goût, toujours différents, d’un village à l’autre. Dans les fours du Logudoro on prépare su bacchiddu ‘e Deu, un pain en forme de bâton qui rappelle la crosse des évêques, et sa pertusitta, une fougasse décorée avec des images des bergers et des brebis en relief. Le goût de sa tunda, le pain rond de la région d’Oristano, est enrichi aux noix et raisin sec. En Ogliastra il existait une ancienne coutume qui revient de temps en temps, c’est celle d’offrir des pains en forme de cœur, d’étoile ou de nouveau-né. Originaire de la région de Nuoro, aujourd’hui préparé dans toute l’Île, c’est su pani cun gherda, à savoir avec les ciccioli (morceaux) de lard de porc. Il existe un gâteau, préparé autrefois uniquement à Noël, mais tellement bon que depuis des décennies on le prépare pendant toute l’année, le torrone de Tonara, sans sucre, uniquement à base de miel que l’on fait fondre à feu lent dans un chaudron en cuivre et que l’on remue pendant des heures, en ajoutant des amandes, des noisettes ou des noix.
Des cascades d’eau pure
Sur une île de volcans très anciens, le Montiferru a été le plus grand. Aujourd’hui c’est un immense haut-plateau basaltique sillonné d’eaux impétueuses qui, à la limite entre Bonarcado et Santu Lussurgiu, génèrent la magnifique cascade de sos Molinos. Des courants souterrains remontent à la surface dans le bourg de San Leonardo, à l’intérieur de la forêt qui porte le même nom, avec les sources très pures et riches en minéraux de Siete Fuentes. Les eaux du Montiferru alimentent également le rio Salighes, un torrent tranquille qui est le protagoniste d’un phénomène avec peu d’équivalents au monde : il plonge directement dans la mer depuis la falaise de Cuglieri. La cascade s’appelle s’Istrampu de Capu Nieddu, un saut fracassant de 40 mètres encore plus suggestif si l’on l’écoute de la mer. Plus au sud, dans le Medio Campidano, on trouve le mont Linas avec les rochers les plus anciens d’Europe, une terre à la saveur primitive avec quelques traces de passages humains et peuplée de cerfs, de renards et de sangliers. La tranquillité de ses bois est ‘brisée’ par le fracas de trois cascades grandioses : sa Spendula fend la forêt comme une lame, pour le dire avec les mots de D’Annunzio, Piscina Irgas plonge de 45 mètres dans un petit lac caractéristique vert émeraude et Muru Mannu, qui compte parmi les plus hautes en Sardaigne, est entourée d’un amphithéâtre naturel spectaculaire.
Le monde caché des grottes
Ils conservent les chefs-d’œuvre de la nature, cachent des secrets, conservent la mémoire des habitants légendaires, ils en hébergent encore quelques-uns dans leurs méandres, parfois ils parlent. Comme sa Oche, ‘la voix’, dont le hurlement résonne dans la vallée de Lanaitto à Oliena, engendré par les courants d’air propulsés dans la grotte ‘jumelle’ su Bentu. Tout près de là, les paroles de Grazia Deledda résonnent, ce sont celles de son roman ‘L’edera’ et des récits du XIXe siècle, à mi-chemin entre la réalité et la légende, situés dans la grotte Corbeddu. C’était la demeure d’un ‘bandit-gentilhomme‘, dont elle porte le nom et qui la transforma en un tribunal personnel. C’est d’ici que proviennent quelques-uns des plus vieux restes humains retrouvés sur une île méditerranéenne. Même Ispinigoli de Dorgali et sa ‘colonne’ de 38 mètres de haut sont entourés d’histoires originales. Qui sait si le gouffre qui plonge à 60 mètres à la base de la grotte a été vraiment le théâtre de sacrifices humains, au point de mériter le nom d’‘abîme des vierges’. Par ici, le passage des monts à la mer est bref, et même les observations du phoque de mer s’imprègnent d’une légende : on ne sait pas s’il fréquente encore ou pas le golfe d’Orosei, mais il est certain qu’il vivait à Cala Gonone, dans les grottes du Bue Marino, qui lui sont dédiées. La ‘stanza delle spiagge’ (pièce des plages) était le refuge sûr pour mettre au monde et sevrer ses petits. Même les hommes du Néolithique se réunissaient ici, dans les mêmes ‘salles’ à fleur d’eau où depuis des décennies, chaque été, les concerts de Cala Gonone Jazz montent sur scène.
Des chaussures pleines de pas
Le climat est doux quasiment toute l’année, les températures sont agréables souvent même en hiver. Une lumière intense inonde les sentiers situés le long des côtes et qui serpentent dans les paysages les plus sauvages de l’intérieur, beaucoup d’entre eux sont peu battus et empreints d’une atmosphère primordiale impalpable qui domine sur la beauté des paysages. Ce sont des chemins et des parcours de randonnée qui font découvrir la Sardaigne la plus exclusive et réservée, à parcourir associés à l’esprit des lieux qui touche l'âme.